Un souffle glacé {Bethany}

Le silence était quasi total. On entendait simplement le plancher craquer un peu, crisser sous le poids de vieux meubles poussiéreux. La plupart de ces meubles étaient recouvert de vieux draps sales et déchirés par endroit... dans l'obscurité totale ils faisaient penser à de vieux fantôme difformes. Un enfant seul dans cette scène inquiétant aurait sûrement été mort de peur, planqué dans un coin, sursautant au moindre son, au moindre frémissement. Le peu de lueur qui s'échappait de fines fentes dans les murs créaient des jeux d'ombres intéressant. Ici... l'ombre de la vieille commode. Là celle du mystérieux carton où s'empilaient des chandeliers et des cadres abandonnés. Rien ne bouge, rien ne frémit ni ne tremble. Juste un pauvre grenier dérisoire où s'entassent des souvenirs, les traces d'un passé oublié, les épaves d'une construction médiocre qui les a rejeté faute de place, faute de goût, faute d'utilité ou d'ancienneté. Qui sait ? Ce chandelier avait-il un jour porté une bougie dégoulinant de cire ? Ce cadre avait-il supporté un chef d'œuvre ? Cette commode avait-elle gardé un trésor ? Et ce fauteuil rapiécé là-bas avait-il accueillit un dormeur, un lecteur ? Et ces draps vieux comme le monde, jaunis par le temps, avaient-ils enlacé des amant inconscients ? Qui sait ? Ces objets pouvaient raconter des milliers d'histoire ou bien aucune, seulement celle de ce sombrer grenier.
Mais ceux-ci finalement on vu passer bien des choses en fin de compte. Des pensionnaires apeurés venus se cacher, des amoureux soucieux de ne pas être dérangés, un combat ensanglanté... un peu d'agitation parfois ne fait de mal à personne, ne serais-ce que pour faire voyager un peu la poussière, faire voleter le coin des draps, les faire glisser... peut-être avaient-il même été enlever pour laisser découvrir les fidèles amis qu'ils protégeaient de la saleté.

Cependant depuis peu... ces hôtes étranges et rabougris accueillaient parmi eux une étrange colocataire. Ce n'était ni un meuble ni un objet, pas un animal non plus... mais une jeune femme. Enfin si on peu dire. Cela fait quelques jours qu'elle a désigné cet endroit comme sa demeure. Elle l'apprécie pour son obscurité, son silence, sa fraîcheur, sa solitude. Installée peu confortablement tout au fond du grenier derrière une pile d'innocents cartons, elle dort à poing fermé. Seul son souffle régulier, à peine perceptible, trouble le silence habituel. Au bout d'un long moment elle s'éveille enfin, clignant plusieurs fois des yeux avant de se redresser. Elle frotte ses paupières et repousse les longues mèches rousses venus masquer son visage pâle et ses grands yeux verts. Il lui faut encore davantage de temps pour se lever et se diriger vers un sac dont elle extirpe un vieux jean troué et une longue chemise rouge. Lucie n'a jamais su s'habiller. Pour les vêtement ne sont qu'un tissu pour masquer un temps soit peu sa nudité bien qu'elle soit loin de comprendre ce qu'est la pudeur.
Ainsi prête, elle fait quelques pas vers une sorte d'escabeau. Elle grimpe les quatre marches qu'il possède et lève les bras jusqu'au plafond pour ouvrir une trappe qui mène jusqu'aux toits. Elle a découvert ce passage l'avant veille et s'y rend chaque matin.

Arrivé en haut sans refermer derrière elle, elle s'approche du bord, droit debout et ferme les yeux en étendant les bras pour mieux sentir le souffle glacé du vent. En effet il fait extrêmement froid ce matin et pourtant, elle adore ça. Elle finit par s'assoir, les jambes dans le vide, loin de craindre la chute. Elle se penche même de temps en temps pour observer un pensionnaire passer ou un oiseau voleter près d'une fenêtre. Elle se sent bien seule, dans le froid. Pourtant sa tranquillité fut troublé lorsqu'elle entendit quelqu'un monter à son tour. Elle tourna la tête pour jeter un coup d'œil critique derrière son épaule. Qui était ce fauteur de trouble ?

Deux ans. Cela faisait deux ans que Bethany était arrivée à Anguish. Elle arrivait à suivre plus ou moins le fil des années en posant la question aux nouveaux arrivants, sans ça, difficile de garder la notion de temps. Deux ans et pourtant ça semblait si loin. Sa plus grande frayeur avait toujours été d’oublier la vie, la vraie vie, celle qui existait à l’extérieur de cette île maudite. C’était tellement facile de devenir cinglé ici.

Comment se faisait-il d’ailleurs qu’elle n’ait pas encore pété un câble ? Il fallait dire qu’au début, elle était tout sauf docile, ce qui lui avait valu pas mal de coups durs. Mais elle s’était toujours relevée. Petit à petit elle s’était calmée, même si elle gardait toujours des réactions instinctives, des réflexes qui la poussaient à rester debout, ne pas faiblir, jamais. Sa fierté la perdrait peut-être un jour, mais c’était aussi sans doute ce qui avait permis sa survie jusqu’ici.

La suite de sa vie, elle voulait l’imaginer loin de cette île. Ça semblait un rêve utopique, irréalisable, mais c’est ça qui la poussait à se lever chaque jour à présent. Elle voulait y croire. Depuis qu’elle était ici, elle en avait vu des pensionnaires baisser les bras, résolus à attendre la fin de leur vie, et ils avaient vite eu droit à leur tombe. Beth’ ne voulait pas envisager le même sort pour elle. Elle arriverait à fuir. Avec son petit groupe, c’était leur objectif. Mais la jeune fille était bien trop impatiente. Pour les autres ça semblait être une illusion et les choses n’avançaient guère. Il était temps de se bouger.

Il leur fallait des informations qui les aideraient. La jeune fille avait donc décidé de fouiner un peu le grenier, un endroit qui regorgeait d’objets et de papiers auxquels personne ne s’intéressait. Qui sait, pouvait-il y avoir des renseignements utiles pour une évasion. Bethany grimaça en arrivant. Elle n’aimait pas cette pièce. Trop froide, trop sombre. Tout le monde savait que c’était le lieu parfait pour se faire violer ou égorger en toute tranquillité. Le plancher grinçait comme si personne n’y avait mis les pieds depuis des siècles. Au moins, la pièce était vide pour l’instant, ce qui rassura la pensionnaire, qui resta cependant toujours sur ses gardes.

Mais il fallait reconnaître que c’était une véritable caverne d’Ali Baba. Des meubles, des objets, des cartons, symboles d’une ancienne vie à présent révolue, le tout recouvert par une quantité surprenante de poussière. Ça sentait le vieux, le froid, la mort…autant de choses qui mettaient facilement mal à l’aise. Beth’ lâcha un soupir et s’approcha de la commode la plus proche. Silencieusement, elle ouvrit les tiroirs. Fouillant un peu, elle ne trouva que des vieilles photos ou des factures. Rien de bien intéressant. Elle fit de même sur l’autre tiroir et sur un autre meuble. Mais il n’y avait rien de bien utile. Au moins elle aurait essayé…

Un courant d’air frais la surprit et la fit se retourner. Sur le qui-vive, elle s’approcha de la source de fraîcheur, tout en sachant parfaitement qu’elle ferait mieux de quitter le grenier. Foutue curiosité ! S’enfonçant dans la pièce, elle ne tomba cependant sur personne. Sur sa droite, un détail attira pourtant son attention. Un sac contrastait avec les draps blancs recouvrant les vieux meubles. S’en approchant, Beth’ distingua des vêtements. Des vêtements féminins apparemment, et assez actuels. Quelqu’un vivait ici ?

Un nouveau courant d’air et Bethany se réinteressa à la fraîcheur dégagée. Elle sut maintenant d’où ça venait : la trappe donnant sur les toits était ouverte. Elle hésita un instant. Bon, au point où elle en était…Elle monta les quelques marches de l’escabeau et se retrouva à l’extérieur en un rien de temps. Le vent était glacé et Beth’ referma rapidement son gilet pour avoir plus chaud. Le ciel était si nuageux que le soleil n’était pas visible. Mais ce n’est pas ce point météo qu’elle remarqua en premier. Une jeune femme se tenait, assise au bord du bâtiment. Sa longue chevelure rousse flottait au vent et ressortait de ce paysage terne.

« C’est toi qui vis dans le grenier ? »

Elle la regarda de dos en fronçant les sourcils. Ne pouvant pas voir son visage, difficile de la reconnaître, quoi qu’elle connaissait peu de rousses…Alors, amie ou ennemie ?

Lucie plissa les yeux et observa la tête aux cheveux longs et sombres qui apparaissait sur le toit. Une fille que la jeune femme n'avait encore jamais croisé dans le pensionnat. Ce n'était pas étonnant puisqu'en général, elle n'avait pas pour habitude de se balader dans tous le bâtiments. Elle aimait rester dans le silence et l'obscurité du grenier ou la fraîcheur du toit. Elle faisait également des aller-retour à la douche ou en cuisine pour piquer un truc à manger mais rien de plus. Du coup elle avait fait très peu de connaissance. Deux asiatiques et une jeune femme grande et mince elle aussi avec des traits légèrement typés. A croire qu'il n'y avait que ça ici. Mais cette inconnue lui prouva le contraire, une fille de race blanche tout ce qu'il y a de plus banal. Oui elle était banale. Mais en était-il de même au fond, à l'intérieur de cette enveloppe de chair ? Elle le saurait peut-être... bien que Lucie ne soit pas du genre à poser les questions et sans doute moins à y répondre. Très compliqué pour avoir une conversation avec cette petite sauvage aux cheveux roux. Ça n'empêchait pas toujours la communication...

Lucie avait côtoyée plusieurs filles au Centre de réinsertion où elle avait été amenée et un minimum éduquée. Elle y était resté peu de temps et s'était peu intéressée à toutes ses règles de savoir vivre qui lui semblaient inutiles ! Elle savait s'exprimer, à peine lire et à peine compter. Ça ne l'avait jamais empêcher de vivre comme elle l'entendait au contraire !
Lucie n'avait pas eu d'amie là-bas puisqu'elle n'en voulait. Elle avait apprit ce que c'était en voyant les autres faire mais ça ne l'avait pas attiré. Elle préférait mille fois être seule. Les autres pensionnaires l'avait toujours évité et n'avaient pas osé lui parler. Lorsque l'un d'eux s'y risquaient, il ne recevait rien de plus que le silence et un regard perçant. Lucie était donc tout sauf sociale.

La voix de la brunette qui venait de monter sur le toit retentit, brisant le chant du vent, demandant si c'était elle qui vivait dans le grenier. Lucie prit son temps avant de se tourner vers Bethany, l'observant de ses yeux verts et inexpressifs. Longtemps elle l'observa de bas en haut sans rien faire de plus. Les gens normaux l'avaient toujours un peu intrigués. Au final elle répondit à la question par un hochement de tête puis elle fit mine de se désintéressée de la nouvelle arrivée pour en retourner à sa contemplation du paysage. La jeune brune avait froid, Lucie, elle, se sentait très bien. Elle se pencha de nouveau dangereusement pour regarder un autre individu, si petit vu d'en haut, quitter le pensionnat.C'est qu'ils étaient nombreux là-dedans finalement... des débris de l'humanité il y en avait décidément plus que l'on ne le pensait. Cela fit sourire légèrement la jeune rousse.

Que ferait Bethany de ce silence ? C'est que rester en présence d'une fille aussi étrange et silencieuse que Lucie pouvait s'avérer extrêmement compliqué et énervant pour ceux qui n'y sont pas habitués. D'autant plus lorsqu'il fait un froid hivernal n'est-ce pas ?

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