Installation [Keira]

Lucie se laissa guider, découvrant au passage les quelques couloirs du pensionnat, son sac à la main. Parfois, elle croisait un pensionnaire ou un surveillant qui lui jetaient des regards divers. Des regards critiques, curieux, goguenards, effrayés ou misogynes. Elle n'y portait guère d'attention, regardant droit devant elle avec une démarche sûre, comme si elle savait déjà où aller. Elle aimait cette obscurité qui l'entourait, cette odeur de sueur et parfois de sang... la peur tout simplement. Elle s'arrêta au niveau d'une porte un peu branlante qu'elle repoussa d'une main. Grinçant, la porte la laissa découvrir un dortoir où se trouvaient des paillasses avec de veillent couvertures. Un luxe pour une jeune femme ayant dormit à même le sol pendant 14 ans de sa vie, même si elle avait eu le droit à un vrai lit au Centre pendant trois ans. Lucie fit quelques pas puis jeta son dévolu sur la seule paillasse libre, heureusement loin de la fenêtre. Son regard fouilla la pièce quelques instants. Il était évident que c'était une dortoir pour filles étant donné le nombre de brosse à cheveux et de petites culottes qui traînaient. Dégoûtant.

Lucie plissa le nez de dégoût et cala son sac près de son lit. Il avait beau faire froid, elle n'était vêtue que d'un jean et d'un débardeur noir un peu trop grand. Elle aimait le froid et l'ombre, c'était comme ça. C'est alors qu'elle entendit des bruits de pas. La jeune rousse se redressa et se tourna vers la sortie pour découvrir son visiteur...

Toutes les salles étaient devenues obscures, la lune n’éclairait que peu les couloirs sans vies, peut-être à cause du flou des fenêtres. Le grand ménage n’avait pas suffis pour laisser les lieux propres, la nature d’Anguish avait repris le dessus et l’odeur de moisie, de sueur et de sang (comme l’avait si bien décrit Lucie) était vite réapparu.
Marchant d’un pas lent, Keira laissait glisser sa main contre le mur mi-humide du couloir. De simple pensionnaire elle était devenue à son tour une surveillante. Elle ne l’avait pas décidé, c’était ça ou mourir. Mais cela ne la dérangeais nullement. Elle n’y perdait pas grand-chose en fait à par qu’au lieu d’avoir des interdictions, elle devait obéir à quelques obligations. Tournant l’angle du couloir, elle entra dans le dortoir et regarda les lieux. Elle avait vécu ici pendant plus de trois ans allongée sur une dalle en pierre surnommé lit et couvert d’une couverture en laine déchiré et insupportable. Et désormais elle avait droit à un lit qu’elle avait trouvée trop moue, l’impression de s’étouffer dedans l’avait pries dans un premier temps puis elle y avait passée depuis des douces nuits sans mal de dos, sans avoir froid. Le bonheur si on pouvait le dire. Mais ce soir elle avait décidé de s’allonger un peu dans son lit, histoire de réfléchir, de recenser le passé surement. Il était vrai que le temps avait changé, elle n’était plus la même depuis plusieurs mois et cela avait bouleversé pas mal de personne, sauf un… Celui qui ne supportait pas la voir fragile, celui qui auparavant avait toujours était déçu par elle. Au moins cette fois il ne pouvait plus dire ça. Elle avait de nouveau fais sa marque dans le pensionnat et peu de personnes se risquer à l’approcher, ses amis… Mais quels amis ? Elle les avait tous rejeté sans scrupule. Et pourquoi ? Pour qui ? On aurait pu dire pour Keiji, ce qui avait surement un lien avec ce changement mais en fait cela avait été son propre désir. Elle voulait être seule.
Relevant la tête pour regarder ce qui se trouva face à elle, elle pu distinguer pleins de pensionnaires déjà endormis, ou faisant semblant. Ayant peur qu’un des surveillants passe surement. Une seule jeune fille était encore debout et la fixer droit dans les yeux pendant que Keira baissa le regard sur son lit.

« Tu prend le mauvais lit »

Elle s’approcha de la demoiselle afin de la voir de plus près et sourie. Celle-ci avait de long cheveux roux décoiffé, comme ceux de Keira, à peu près de la même hauteur qu’elle. Mais son maquillage en plus de l’obscurité assombrissait trop son visage pour que Keira puissent réellement l’identifier. Dans tout les cas, elle ne l’avait jamais vu. Surement une nouvelle alors.

Lucie leva les yeux sur la nouvelle arrivée et du bout des doigts, rangea une mèche de ses cheveux roux pour mieux voir son visage. Toutes deux semblaient faire à peu près la même taille, avaient les cheveux un peu en bataille... et une sacrée force de caractère d'après ce qu'elle put voir dans ses yeux. Pas le genre de fille à pleurer pour un rien et à se laisser marcher sur les pieds. Lucie avait apprit depuis longtemps à reconnaître une personnalité rien qu'en observant bien son vis à vis, et apprécia le sourire qu'elle lui tendit, même si peut-être il ne voulait rien dire. Aucune fille ne lui avait tendue un sourire... c'était simplement des regards foudroyants à chaque fois. Étrange comme les êtres humains pouvaient être si disparates. Et puis la rivalité féminine avait toujours existé... cette jalousie incomprise, de choisir ses amies parmi celles qui ne rivaliseront pas de beauté ou d'intelligence, pour être sûr d'être toujours à la hauteur. L'amitié n'était qu'une vaste hypocrisie.
La jeune brune, bien que plus âgé qu'elle, lui fit remarquer qu'elle prenait le mauvais lit. Lentement, Lucie tourna et baissa son regard sur la couche. Pouvait-on seulement appeler ça un "lit" ? Elle n'était même pas sûre de pouvoir supporter cette proximité avec les autres filles... rien que de les entendre respirer bruyamment l'exaspérait.
Lucie regarda de nouveau son interlocutrice. Ce lit lui appartenait-il ? Peu importe.

Parler n'était pas dans les habitudes de la jeune femme. Rares, très rares étaient les personnes à l'avoir entendus parler. Les professeurs de langue, ceux qui lui avait apprit à l'âge de seize ans à parler autrement qu'avec des sons sortant de sa bouche, l'avaient entendus après beaucoup de patience et de ténacité. Mais ça avait duré peur de temps... trois ans tout au plus. Voilà pourquoi parler, était secondaire chez elle.
Elle ne dit donc aucun mot et se tourna vers la fenêtre. Il y avait un rideau complètement déchiré et moisit qui pendait devant, laissant le soleil entrer à loisir. Lucie eut une grimace. Elle ne dormirait pas là. Elle ne supporterait jamais la chaleur de l'endroit, ni la lumière du matin. Elle lança donc un dernier regard à la jeune femme, un regard interrogatif, attendant sans doute qu'elle lui indique un autre endroit. Si ce n'était pas le cas, elle se débrouillerais. Elle s'était toujours débrouillée.

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